La rédaduction

Aboû Fahîma ‘Abd Ar-Rahmên AYAD

Enseignant-chercheur en linguistique et sciences du langage

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Nous proposons le terme de rédaduction pour décrire le processus interlinguistique caractérisant les écrits islamiques dans les langues étrangères. Nous appelons langues étrangères, toutes les langues du monde qui sont la contrepartie de la langue arabe qui est la langue de base de l’islam. Ce qui signifie, qu’à partir d’une seule et même langue originale, l’arabe, toutes les autres langues puisent d’elle pour écrire dans ou sur l’islam. On entendra donc ici langue étrangère par rapport à la religion musulmane et non à l’auteur, car elle pourrait être pour lui sa langue maternelle. Voire, les quelques actuelles 6000 langues du monde, hormis l’arabe, sont en réalité étrangères à toutes les Révélations divines descendues sur terre, en plus de la religion musulmane. Car, avant l’islam, les Révélations antérieures au Qour’ên « Coran » ont été faites dans des langues (araméen, syriaque…) qui sont aujourd’hui mortes.[1]

Ce fait linguistique, précisément, devra concorder avec l’ensemble des particularismes inhérents à la langue arabe et qui lui donnent un statut bien distinct du reste des langues. Fait qui aboutira ipso facto à la conclusion selon laquelle les langues s’évaluent factuellement entre elles, et qu’il existe, de manière on ne peut plus empirique, des langues supérieures à d’autres, contrairement à la prétention ambitieuse que « les langues ne s’évaluent pas entre elles », que beaucoup de linguistes occidentaux, notamment français, se font plaisir de propager par-ci par-là.[2]

Cela étant dit, excepté les textes islamiques en arabe, tout écrit sur l’islam rédigé dans une langue étrangère, devra nécessairement être le fruit de la rédaduction, qui est un mariage entre rédaction et traduction. La rédaduction est foncièrement due au fait que les Textes sacrés en islam : Versets et Hadiths, sont originellement de langue arabe. Ainsi dans l’opération de rédaduction, l’auteur écrivant dans le champ islamique, puisqu’il est astreint à faire un travail de traduction, fait, tout au long de sa construction du texte en langue française ou autre langue étrangère, des allers-retours entre rédaction et traduction.

De ce fait, dans la dynamique processuelle de l’élaboration du texte, une activité incessante de montage textuel double doit être effectué jusqu’à la fin. C’est, d’une part, celle d’écriture, qui est la rédaction en langue étrangère, et d’autre part, celle de réécriture qui est la traduction en langue cible ou d’accueil des sources arabes qui l’alimentent.

Notons au passage que les deux opérations d’écriture et de réécriture sont complètement disparates. Ce qui produira, incontournablement, une texture plus ou moins hétérogène sur le plan stylistique et syntaxique.[3]

Quant à la création du terme rédaduction, sur les deux plans morphologique et lexical, il s’agit d’un métaplasme sous forme de mot-valise, qui, celui-ci, est un mode de formation du lexique par télescopage de deux mots, du type de composition, formée sur la troncation de deux unités déjà existantes (ici rédaction et traduction), en retenant le début de la première et la fin de la seconde. Les mots-valises sont l’apanage des vocabulaires scientifiques, littéraires et ludiques.[4]

Sur ce même modèle, certains traductologues (théoriciens de la traduction) ont forgé le terme « tradaptation », tellement ils sont « convaincus que traduction et adaptation ne sont que les deux faces d’une même monnaie »[5].

Notons, en passant, que dire que « la traduction est adaptation », est sans aucun doute, scientifiquement parlant, invraisemblable, voire inacceptable.

Béjaia, le : 01 dhou-l-Hidjdja 1442

Corr. au 11 juillet 2021

Publié sur : https://scienceetpratique.com/8856-2/

 

Articles connexes

Incitation à l’apprentissage de la langue arabe, sur : https://scienceetpratique.com/incitation-a-lapprentissage-de-la-langue-arabe/

Apprendre les langues pour servir l’islam, sur : https://scienceetpratique.com/8420-2/

………….

[1] Lire également sur ce même thème, notre notule au n° 14 (et n° 11, en PDF, pp. 29-30) dans notre traduction L’Unicité d’Allâh dans la Thora, l’Évangile et le Qour’ên, sur : https://scienceetpratique.com/lunicite-dallah-dans-la-thora-levangile-et-le-qouren/

[2] Fait partie de ces derniers un certain Pierre Larcher (enseignant de linguistique arabe !), qui déclare dans son article « Coran et théorie linguistique de l’énonciation » que « le Coran n’est rien d’autre qu’un texte rédigé en arabe et qu’un [linguiste] ne consulte que pour vérifier en contexte une citation trouvée au détour d’un autre texte… » ! Ensuite il prétend que les linguistes arabisants ont délaissée ce qu’il appelle « la conception moniste et autiste de l’arabe (…) et précisément symbolisée par le slogan ‘’l’arabe langue du Coran’’ », justifiant sa prétention non par des faits linguistiques, mais par des fluctuations sociopolitiques, et par également le fait que « ces linguistes arabisants sont des Occidentaux, ou, mieux, des Européens de l’ouest, issus de sociétés libérales et sécularisées, l’univers coranique est culturellement et, plus encore, intellectuellement, aux antipodes du leur… » ? Et soulignant aussi que ce désintérêt envers la langue arabe est également dû au « phénomène connu sous des noms divers (“retour de l’islam”, “montée de l’islamisme”, etc.) n’agisse comme un puissant repoussoir! » Citant ainsi des raisons extérieures à la langue pour tenter de la disqualifier ou, au moins, de la mettre au même rang que toutes les autres… À ce monsieur et ses semblables, nous disons : la langue arabe est beaucoup plus grande que vous tous. Allâh Très-Haut a dit : « Même si les hommes et les djinns s’unissaient pour produire quelque chose de semblable à ce Qour’ên (‘’Coran’’), ils ne sauraient produire rien de semblable, même s’ils se soutenaient les uns les autres ». El isrâ’, v. 88. Il en est alors ainsi que ce phénomène de rédaduction soit un parmi les innombrables faits linguistiques prouvant la prééminence de l’arabe sur les autres langues.

[3] Lire à ce sujet, notre notule intitulée « Réalité linguistique inconnue de beaucoup de gens », publiée sur : https://scienceetpratique.com/realite-linguistique-inconnue-de-beaucoup-de-gens/

[4] Cf. M.-F. Mortureux, La lexicologie entre langue et discours, éd., Armand Colin, 2004, p. 52 ; et F. Gaudin et L. Guespin, Initiation à la lexicologie française, éd., de boeck.duculot, 2002, pp. 291-292.

[5] Cf. M. Guidère, Introduction à la traductologie, éd., de bock, 2010, p. 86.