Le sens étymologique d’un terme est-il une raison pour le délaisser ?
Le sens étymologique d’un terme religieux n’a plus d’effet ni de valeur s’il est tombé en désuétude ; c’est-à-dire qu’il n’est plus en usage.
Les langues évoluent avec le temps, leurs lexiques, donc les mots, évoluent également. Ils se transforment, se modifient, se muent et changent sur les deux plans de la forme et du sens.
Ainsi, un sens étymologique tombé de l’usage communautaire d’une langue donnée, la langue française par exemple, n’aura plus aucune influence de sens dans la communication ou dans le discours, autant à l’écrit qu’à l’oral. Il ne sera plus désormais qu’un témoin sur la mémoire du mot, sur son histoire. Il fournit des renseignements sur son origine, sa naissance, sa formation, comment, quand et d’où est-il venu ? de quelle-s langue-s et à quelle-s époque-s.
L’étymon, qui est la racine du mot étudiée par l’étymologie informe sur le sens utilisé autrefois, soit dans sa langue d’origine, la langue donneuse, soit dans les débuts de son existence dans la langue réceptive ou emprunteuse.
L’étymologie est la discipline qui a pour objet l’étude de l‘origine des mots d’une langue. Dans son travail, l’étymologue donne des indications étymologiques concernant le mot à étudier. « Ces indications peuvent donner le mot le plus anciennement connu comme origine, ou le mot étranger emprunté avec plus ou moins de modifications, ou la base sur laquelle est construit un dérivé : Jugement (de juger). Le mot donné comme origine est l’étymon. »[1]
La langue française est une langue gréco-latine ; elle dérive du grec et du latin. C’est pourquoi le lexique français puise en majorité ses racines du grec et du latin. Ces deux langues qui sont mortes, car elles ne sont plus parlées, sont la matrice des mots religieux français devenus des termes. Les radicaux ou étymons de beaucoup des ces termes comportaient jadis dans ces langues des acceptions qui transgressent la croyance islamique.
Autrement dit, si on examine l’étymon d’un mot comme paradis, venu en français depuis le latin chrétien paradisus et que celui-ci même a emprunté au grec paradeisos, désignant alors parcclos où se trouvent les bêtes sauvages et employé seulement à propos des parcs des rois et des nobles perses[2], on se rendra compte que cette définition gréco-latine demeure incommensurable avec le sens du terme paradis tel qu’il est d’usage en islam. Car il n’y a pas de rapport entre eux. La notion étant bien évidemment incongrue pour qualifier un Haut Lieu au Ciel, qu’Allâh a réservé aux croyants. Sachant par ailleurs que le grec a emprunté le mot au persan paridaisa, où il signifiait « enclos du seigneur »[3]. Remarquons en outre que le grec et le latin ont modifié le sens perse en exprimant une notion entièrement différente.
Or, cette définition gréco-latine indiquant le sens étymologique du terme paradis n’est plus attestée dans l’usage moderne. Voire ce sens est tombé de l’usage depuis que la Bible grecque et à sa suite la Bible latine aient employé paradis pour traduire la notion de « jardin des bienheureux après la mort » pour la première, et « jardin merveilleux donné par ‘’Dieu’’ à Adam et Ève au moment de leur création »[4] pour la seconde.
De nos jours, et depuis une très longue date, le mot paradis n’est plus compris en français avec son ancienne signification grecque ou latine décrite plus haut. Il est invraisemblable de penser qu’on puisse employer aujourd’hui en français paradis au sens d’« écurie » ! Et il en est de même de pleins d’autres mots, tel que, par exemple, les termes : miséricorde, miséricordieux qui trouvent leur origine dans le latin avec le sens étymologique misericordia « compassion, pitié », dérivé de misericors « qui a le cœur (cors) sensible à la pitié. »[5] Ce sens étymologique faisant référence au cœur n’est plus en usage de nos jours, plus particulièrement dans le domaine religieux. Le TLF, qui est à notre époque un dictionnaire de grande référence le définit ainsi : « RELIG. Bonté par laquelle ‘’Dieu’’ fait grâce aux hommes. »[6] Cependant, je mets « Dieu » entre guillemets, car j’ai des réserves par rapport à son sens usuel actuel, moderne, qui est en totale contradiction avec le sens d’Allâh que certains veulent qu’il soit son équivalent ! En plus, mis à part ses sens contradictoires avec la croyance musulmane, « Dieu » est l’équivalent d’Ar-Rabb, et non d’Allâh.
De ce fait, si on s’amuse à mettre en crise les termes islamiques sous prétexte qu’ils ont des sens étymologiques inappropriés ou « dangereux » pour l’islam, alors que ces sens mêmes sont tombés en désuétude depuis belle lurette, à ce moment, tout simplement, on ne laissera guère plus aucun mot français récupéré par la terminologie islamique depuis pourtant une langue date. Voyageant du grec et du latin vers le français, grand nombre de mots comportent des sens étymologiques inacceptables en islam. Or ils évoluent et leurs sens changent à travers le temps.
C’est l’usage dans chaque époque qui détermine les sens des mots et des termes.
En définitive, il y a un point capital qu’il faut mettre ici en exergue. C’est que dans les terminologies, notamment les terminologies religieuses, et la terminologie islamique en étant une, les mots venant de la langue commune sont systématiquement resémantisés. Autrement, ils reçoivent de nouveaux sens dictés par les fondements et principes de la religion en question. Il s’agit d’un mécanisme de spécialisation des mots de la langue générale qu’on affecte à un domaine spécialisé, à une terminologie.
Aboû Fahîma ‘Abd Ar-Rahmên Ayad
Béjaia, le vendredi 4 chè‘bên 1444, corr. au 24/02/2023.
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[1] Mounin Georges, Dictionnaire de la linguistique, PUF, Paris, 2004, p. 130.
[2] Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, Le Robert, Paris, 2012, entrée « paradis », tome 2, p. 2427.
[3] Larousse, dictionnaire étymologique et historique du français, Larousse, Paris, 2006, entrée « paradis », p. 590.
[4] Le Robert, op. cit., p. 2427.
[5] Le TLF (Trésor de la langue française), disponible en ligne sur : https://www.cnrtl.fr/etymologie/miséricorde
[6] Idem.