La traduction et la transcription : deux sœurs jumelles

Dr Aboû Fahîma ‘Abd Ar-Rahmên AYAD

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La transcription en français des mots de l’islam en arabe est une tâche principale dans la traduction. Le traducteur averti, au même titre qu’il s’évertue à rendre pertinemment le sens des mots qu’il traduit, se doit tout aussi de s’employer à reproduire correctement les sons des mots arabes qu’il transcrit. Il doit ainsi faire une sorte de « calque phonique » du mot arabe. Autrement dit, articuler le mot arabe avec les lettres françaises qui sont les plus proches des sons ou phonèmes arabes. Le traducteur doit à cet effet avoir une maitrise respectable sur les deux plans phonétique et phonologique de la langue arabe.

Or, à l’heure actuelle, ce qui se fait dans les traductions en matière de transcription est souvent loin de l’usage scientifique, le seul capable de permettre au traducteur-transcripteur de faire lire en français les mots arabes d’une prononciation idéale. Celle-ci ne peut être à l’écart de l’usage des Arabes dans la prononciation des mots de leur langue.

Ainsi, une transcription idéale donnera accès à prononcer le terme islamique arabe (تَوْحِيد) ainsi : Tewhîd et non Tawhîd (طَوْحيد). Remarquons ici que c’est un (ط) qui est transcrit et non un (ت). L’erreur est donc flagrante. Une prononciation idéale permettra également de prononcer correctement les mots suivants :

(الجَنَّة) El djènna et non janna (djènna avec un djîm /ج/ arabe et non un /j/ français, et suivi d’une voyelle ouverte (/è/ superposé d’un accent grave, signe de l’ouverture reproduisant la fètha superposant le djîm). Le /a/ étant en fait un son purement français. Il n’apparait en arabe que dans des contextes rarissimes. La duplication du /n/ est la gémination du noûn (ن) par la reproduction de la chèdda (ّ) (géminée) qui se trouve au-dessus.

(الأُصُول) El ousôl et non Al ussûl. Cette transcription est typiquement révélatrice de l’imitation des procédés anglosaxons en translittération ou transcription. Le (al) est clairement identifiable qu’il est l’apanage de l’anglais et non du français, et d’ailleurs encore moins de l’arabe. La langue arabe ne connait pas de mots commençant par (al). Les mots de la langue arabe qui prennent èl èlif wè-llêm (الألف واللام = ال) en initiale, tel que (الصَّبور), qui est par ailleurs un des plus beaux Noms d’Allâh, ne peuvent être lus correctement si on les transcrit avec le son [al], tel que certains se plaisent à le faire ! Ne serait-il pas là le signe d’une fantaisie ? Dans ce cas justement, la transcription correcte est celle-ci: Ès-Saboûr.

Le soulignement du /s/ dans ce contexte est facultatif. Aucun Français ne saurait lire le /s/ en tête de mot suivi d’une voyelle en prononçant le son [z].

Revenons à (الأُصُول) que d’aucuns transcrivent par cette graphie Al ussûl, au lieu de celle-ci : El ousôl. En fait, en plus du (al) analysé précédemment, et dont l’écriture correcte est soit (el) soit (èl), ─celle-ci même étant plus exacte d’un point de vue graphique et non phonique, car dans les deux cas de figure la prononciation reste la même─, la lettre (u) ne donne pas en français la lettre arabe (أُ), c’est-à-dire un èlif avec une dhamma au-dessus, qui celle-ci est l’équivalent phonétique du digramme français (ou) et non du signe (u). Celui-ci n’appartient en aucun cas au système phonétique français en relation avec la dhamma arabe. Il est la reproduction de cette dernière en anglais et en API (alphabet phonétique international). Pourquoi donc compliquer les choses aux lecteurs français et francophones, sachant que leur langue ou la langue française dispose du couple (ou) qui dit bien la dhamma arabe ?!

Une seule réponse jaillit lucidement : cette faute est due à la méconnaissance des deux systèmes de transcription phonétique et phonologique arabe et français et à l’imitation. Toutes deux tuent la justesse à coup sûr.

De plus, le /s/ en double dans ussûl, n’est pas à sa place ici. Car, une lettre doublée vaut sa gémination. Autrement, c’est de mettre une chèdda (ّ) sur le sâd (صُّ) qui pourtant n’existe point dans ce mot. Enfin, la lettre ou le graphème (u) que beaucoup veulent qu’il soit la réalisation phonétique de la dhamma, est ici intrigant. Car non seulement il n’est pas, une fois de plus, la lettre reproduisant la dhamma, mais il est curieusement superposé d’un accent circonflexe (û), signe de l’allongement marqué dans le mot par le wêw (و), mais après une consonne doublée, les fameux deux (ss) !! Ce complexe est en effet impossible à prononcer pour un Arabe, alors que le mot supposé être phonétiquement transposé est arabe. Il y a là certes un exemple vivant de méconnaissance du système phonétique et phonologique arabe.

Nous pouvons ainsi mentionner des cas de fausses transcriptions qui touchent à l’infinité des mots arabes, tellement elles relèvent d’un problème systémique. C’est-à-dire, du moment qu’on ignore un système phonétique/phonologique d’une langue, on ne cesse de fausser la transcription de ses mots dans une autre langue.

La traduction et la transcription sont deux sœurs jumelles. La première embrasse la seconde. Elles sont inséparables dans tout travail de traduction. Malheureusement, certains, enclins à l’insouciance, dupliquent le proverbe italien « Traduire, c’est trahir » par ce qui serait son équivalent en phonétique « Transcrire, c’est trahir ! ».

N.B. 1 : Nos frères et sœurs lecteurs et lectrices souhaitant davantage de détails sur ce sujet sont invités à consulter notre ouvrage Réponses linguistiques à certaines questions et critiques sur mes travaux de traduction islamique, disponible sur : https://scienceetpratique.com/جوابات-وردود-علميّة-لسانيّة-على-بعض-ال/

N.B. 2 : Un tableau détaillé de transcription des lettres et sons arabes avec des exemples sera publié bientôt, inchê’Allâh.

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