Les équivalents culturels, des monstres qui dévorent la représentation du réel en islam
Dr Aboû Fahîma ‘Abd Ar-Rahmên AYAD
Parmi les phénomènes de la traduction qui sont un problème en soi, particulièrement pour ce qui concerne la traduction islamique, il y a celui des équivalences culturelles. L’équivalence culturelle est-elle une traduction ? Certainement pas !
La traduction est certainement un fait de bilinguisme[1], mais aussi indéniablement un fait d’interculturalité ; et, précisément de biculturalité. Chaque langue étant en effet véhiculaire de la culture qui lui est sienne. Et puisqu’on est, au moment de l’opération traduisante, confrontés à deux systèmes linguistiques (arabe/français) différents, les deux cultures inhérentes à chacun, différentes aussi, sont en compétition incessante.
Ici justement émerge le phénomène des équivalences qui, chez les traducteurs ciblistes, donne autorité à la culture de la langue réceptive, c’est-à-dire la langue 2 ou B ou encore d’arrivée ou d’accueil, selon les différentes terminologies en usage en linguistique et en traductologie, donc la langue française pour nous.
Nous parlons de phénomène des équivalences, car le traducteur à un moment de l’acte traductif s’arrête d’être traducteur et bascule dans la culture de l’Autre, pour ainsi devenir auteur, et c’est justement à ce niveau qu’il quitte sa posture d’effacé, le traducteur étant par définition un effacé lors de son exercice, dit-on ; il se place alors dans la posture d’un créateur de texte ou d’un écrivain et non plus d’un « ré-écrivain », car, la traduction, n’est, stricto sensu, pas une écriture, mais une réécriture ; une reconstitution intégrale dans une langue B d’un texte préalablement constitué dans une langue A. Le texte écrit préexiste au texte traduit. Celui-ci lui est subordonné.
Or, ce passage de traducteur en auteur s’effectue à l’instant même où le traducteur commence à chercher dans la culture d’arrivée (française) des équivalents pour « dire » des expressions, certains mots et groupes de mots, des proverbes, etc. qui, à ses yeux, seraient leurs équivalents. Ainsi on saura que l’équivalence en ce sens de rechercher des référents culturels plus ou moins « semblables » aux référents à traduire, n’est plus un acte traduisant mais un acte écrivant. L’on lâche de ce fait le domaine de la traduction pour celui de l’écriture ou de la rédaction. Une sorte de rupture avec le texte source. Et c’est par là, notons-le, que s’ouvre une des brèches de l’adaptation des textes de départ et de la trahison. Le traducteur, dans une pareille allure, sanctionne l’auteur ; il censure sa pensée et usurpe son statut.
Aussi, l’équivalence, de ce point de vue-là, va en contradiction totale avec l’esprit même de ce qu’est la Traduction. On ne traduit pas pour plaire, comme est l’approche cibliste, appelée à juste titre les belles infidèles par certains linguistes, mais on traduit pour transposer des connaissances, transférer du sens d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, on fait passer les éléments culturels du texte de départ tels quels, afin que le lecteur lisant la traduction prenne connaissance de choses nouvelles appartenant à la culture arabe… L’on parle ici de plein droit de traduction et d’interculturalité. On traduit pour instruire.
Un admirateur fasciné des belles lettres se penchera plutôt sur les écrits littéraires et les textes rhétoriques ou poétiques et leurs traductions, et non sur les traductions islamiques.
Sous l’opération du choix des équivalents d’une culture à l’autre et en se permettant à les déterminer comme tels pour l’expression ou le proverbe que le traducteur a sous les yeux, celui-ci n’est plus dans l’interculturel, mais dans la déculturation, dans la dépossession du Texte et de son auteur de leur propre identité[2] ; un autre grand phénomène qui pose énormément problème en traduction islamique.
Pourtant, dans les traductions religieuses, la méthode requise par les premiers théoriciens est bien la traduction littérale[3], celle-ci même qui est adoptée par la suite par l’école sourcière, qui, elle, est aux antipodes de l’école cibliste. Méthode de traduire qui remonte à deux millénaires, consacrée spécialement au Texte sacré, tel que l’a initiée en premier Saint Jérôme (347-420) par son diptyque : « verbum de verbo », c’est-à- dire, mot-à-mot dans le cas des mystères (il fait référence à la Bible), mais sens pour sens, « sed sensum exprimer de sensu », partout ailleurs. Expression qui a été reformulée quelques années plus tard par le grand admirateur de Saint Jérôme : Saint Augustin (354-430), qui a formulé la notion de fidélité, autour de laquelle se cristallisera la problématique centrale de toutes les théories de traduction à venir.[4]
Dans ce même rapport, décrivant dans Les belles infidèles la démarche littéraliste de la traduction des Textes sacrés mise au point par St Jérôme, G. Mounin rappelle les propos de ce dernier : « Et pour son propre compte, saint Jérôme ajoute :’’Quand je traduis les Grecs, — sauf dans les saintes Écritures, où l’ordre des mots et aussi mystère, —ce n’est pas un mot par un mot, mais une idée par une idée, que j’exprime » [Non verbum e verbo, sed sensum exprimere de sensu]. »[5]
Pour sa part, Michaël Oustinoff écrit à ce sujet : « Cette distinction introduite par saint Jérôme est essentielle : elle souligne la différence entre textes religieux et textes profanes au regard de la traduction. Dans le premier cas, il faut davantage s’en tenir au mot à mot. C’est la méthode que préconise Philon [né av. l’ère chrétienne], membre de la communauté juive d’Alexandrie : seule la traduction littérale serait en mesure de ne pas altérer les textes sacrés. »[6]
Nonobstant, ce qui s’est très tristement passé dans les Textes islamiques que l’on traduit est bien étrange. Nombre considérable, si ce n’est majoritaire, de traducteurs ont inversé la règle. Ils traduisent les Textes de l’islam sous la méthode de la traduction libre, qui n’est autre que celles des Belles infidèles ! Ils ont effectivement effacé les frontières qui se trouvent entre un texte religieux et un texte profane. Raison pour laquelle on ne cesse de produire non seulement des traductions qui dénaturent le Texte source à bien des égards, mais de présenter également des livres dont l’apport scientifique et intellectuel est très faible, voire quelquefois faussé. C’est pourquoi on lit tant de traductions, mais on sort à la fin de chaque lecture avec des bénéfices maigres, sur tous les plans (religion, langue, traduction, culture, etc.). Il est question, par conséquent, d’une des raisons principales retardant l’acquisition religieuse chez les lecteurs francophones.
Revenons au sujet qui nous préoccupe, concernant justement ce système des équivalences culturelles. Nous sommes en fait en droit de nous demander est est-ce qu’il est déjà arrivé qu’un traducteur ait eu un jour l’idée d’au lieu de traduire un verset ou un hadith par exemple, se serait contenté de retrouver son équivalent dans la Bible ?! Car il y en a des centaines de versets qui seraient les équivalents des versets du Qour’ên.
Ceci pour établir que la question des équivalences dans le domaine culturel et religieux, qui s’agit des notions relevant de la vision du monde et de la perception de la réalité, ne tient pas en traduction islamique.
En effet, autant qu’on transpose les contenus des mots et des phrases de l’arabe vers le français, l’on doit tout autant transposer les référents culturels tels quels, sans aucune modification ni prétendue équivalence. C’est un dépôt. Voilà ce qu’est un travail de traducteur fidèle tant à l’esprit qu’à la lettre. Mais il est clair que pour atteindre à ce niveau, il est impératif d’avoir d’abord les compétences religieuses et linguistiques arabes/françaises nécessaires.
Par ailleurs, font partie des pratiques fondées sur de faux-arguments que les enseignants des universités ont lors des cours ꟷ c’est-à-dire les enseignants adeptes des Belles infidèles[7], pour tenter de démontrer l’intérêt du système des équivalences, notamment culturelles ꟷ le fait de citer quelques proverbes ou citations arabes dont celle-ci « لَقَدْ أَثْلَجْتَ صَدْرِي ». Une fois cet exemple phare est livré à sec, l’enseignant déchaine sur une panoplie d’interprétations pour donner de l’attrait à sa position. Il dira ainsi que si l’on traduisait l’expression par « Tu m’as fait froid au cœur », le lecteur français ne comprendra pas… C’est pour cette raison qu’il faudra utiliser son équivalent qui est « Tu m’as fait chaud au cœur » !
Pourtant, on ne traduit pas que pour les Français ! Les francophones des déserts et des pays chauds dans le monde comprendront bien cette tournure traduite telle quelle ! Là, tout particulièrement, se manifeste le paramètre de déculturation déclenché par le phénomène de prestige pour tout ce qui est français. On se laisse, par là même, abandonner à l’effacement culturel et identitaire devant la culture française, sans pour autant ne penser aux conséquences qui en découlent. Les concepteurs de ce choix des équivalences pour les éléments culturels, sont-ils, en définitive, des théoriciens français, pro-francisants ou francisés ?!
En fait, l’auteur dans son texte de départ, en arabe, n’appartient pas forcément à l’univers culturel du lecteur lisant la traduction, du moins pour les Textes islamiques, Textes de savants de la Sounna, audios, prêches, etc. Pourquoi alors ne pas transmettre la valeur culturelle qu’il y a dans cette figure, plutôt que de la fausser voire de la meurtrir par le choix d’une autre expression dans la langue d’arrivée, qui, dit-on, serait son équivalent ? Les formules culturelles sont constituées de mots ; et les mots sont des entités vivantes. La valeur culturelle des mots et des expressions veut effectivement que le lecteur prenne conscience d’une nouvelle notion, qu’il apprenne un concept original, celui de l’auteur traduit, qu’il découvre une autre interprétation de la réalité que la sienne, ou ce que l’on appelle en linguistique découpage ou catégorisation du réel. Autrement, le lecteur enrichira son potentiel cognitif et culturel en prenant connaissance d’un proverbe ou d’une tournure connotée qui vient des entrailles du désert, où l’on a tellement chaud et soif que, ce besoin vital étant, celui de l’expression figurée, ait poussé les Arabes à créer cette jolie allégorie tellement démonstrative et hautement instructive sur la réalité au/du Désert.
Avec une telle stratégie, c’est-à-dire traduire le référent culturel et non en choisir un parmi les référents culturels de l’autre langue de ce qui serait son équivalent, et notre exemple cité plus haut sert à juste titre de point d’illustration, le traducteur, connaisseur des deux cultures et des ressources linguistiques des deux langues, s’emploiera à gloser ce référent dans la marge.
La glose, mécanisme de connaissance et d’avertissement, a de tout temps constitué un instrument d’enrichissement scientifique et culturel efficace. C’est une méthode scientifique qui donne de la force à la traduction.
En conclusion, les référents culturels propres à la langue arabe, que l’on retrouve dans les Textes islamiques doivent être nécessairement rendus et déposés fidèlement dans le texte d’arrivée. Car, en fin de compte, une traduction idéale doit se conformer au principe « Tout remettre, et ne rien omettre ! ». Seule procédure pour contourner les mauvaises habitudes des traducteurs qui aiment à s’immiscer dans le plein corps du texte de départ et faire dire à l’auteur ce qu’il n’a pas dit. Il s’agit en fait d’un phénomène énorme ayant causé des dégâts dans les livres traduits qu’on trouve de nos jours sur le marché francophone. Un traducteur islamique sincère et compétent ne saurait trahir la parole de l’auteur ; il ne censure pas les pensées des savants, non plus !
Important à lire
« La responsabilité du traducteur », de l’Imam Ibn Badis, PDF disponible sur : https://t.me/Linguistiqueetislam/125
« Comment traduire un mot correctement ? », sur : https://t.me/Linguistiqueetislam/34
« La traduction et la transcription : deux sœurs jumelles », disponible sur : https://scienceetpratique.com/9925-2/
Publié sur : https://scienceetpratique.com/12270-2/
https://t.me/Linguistiqueetislam/206
………………..
[1] Georges Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction, Gallimard, Paris, 1963.
[2] Voyez à ce sujet notre article « Le bon choix des équivalents pour la recréation du style islamique dans la traduction », sur : https://scienceetpratique.com/10017-2/
[3] Voyez nos notules « La traduction littérale est le seul garant de la reproduction totale des données du Texte islamique », sur : https://scienceetpratique.com/11864-2/ ; et « La traduction littérale pour les Textes islamiques », sur : https://scienceetpratique.com/11854-2/
[4] Mathieu Guidère, Introduction à la traductologie, de boeck, Bruxelles, 2010, pp. 30-31.
[5] Goerges Mounin, Les belles infidèles, Éditions des cahiers du sud, Paris, 1955, p. 79.
[6] Michaël Oustinoff, La traduction, PUF, Paris, 2003, p. 28.
[7] Un des premiers linguistes français, si ce n’est le premier, ayant excellé, dans les années 50, à mettre à nu cette tendance cibliste est Georges Mounin, dans son ouvrage Les belles infidèles.
énomènes de traduction qui sont un problème en soi, notamment pour ce qui concerne la traduction islamique, il y a celui des équivalences culturelles. L’équivalence culturelle est-elle une traduction ? Certainement pas !
La traduction est certainement un fait de bilinguisme[1], mais aussi indéniablement un fait d’interculturalité ; et, précisément de biculturalité. Chaque langue étant en effet véhiculaire de la culture qui lui est sienne. Et puisqu’on est, au moment de l’opération traduisante, confrontés à deux systèmes linguistiques (arabe/français) différents, les deux cultures inhérentes à chacun sont aussi différentes et en compétition incessante.
Ici justement émerge le phénomène des équivalences qui, chez les traducteurs ciblistes, donne autorité à la culture de la langue réceptive, c’est-à-dire la langue 2 ou B ou encore d’arrivée, selon les différentes terminologies en usage en linguistique et en traductologie, donc la langue française pour nous.
Nous parlons de phénomène des équivalences, car le traducteur à un moment de l’acte traductif s’arrête d’être traducteur et verse dans la culture de l’Autre, pour ainsi devenir auteur, et c’est justement à ce niveau qu’il quitte sa posture d’effacé, car le traducteur est par définition un effacé lors de son exercice, dit-on ; il se met alors dans la posture d’un créateur de texte ou d’un écrivain et non plus d’un « ré-écrivain », car, la traduction, n’est pas une écriture, mais une réécriture ; une reconstitution dans une langue B d’un texte préalablement écrit dans une langue A. Le texte écrit préexiste au texte traduit. Celui-ci lui est subordonné.
Or, ce passage de traducteur en auteur est effectué à l’instant même où le traducteur commence à chercher dans la culture d’arrivée (française) des équivalents pour « dire » des expressions, certains mots et groupes de mots, des proverbes, etc. qui, à ses yeux, seraient leurs équivalents. Ainsi on saura que l’équivalence en ce sens de rechercher des éléments culturels plus ou moins « semblables » aux éléments à traduire, n’est plus un acte traduisant mais un acte écrivant. L’on quitte de ce fait le domaine de la traduction pour celui de l’écriture ou de la rédaction ; et c’est par là, tout particulièrement, que s’ouvre la grande porte d’adaptation des textes de départ et de trahison. Le traducteur, dans une pareille allure, sanctionne l’auteur ; il censure sa pensée et usurpe son statut.
Aussi, l’équivalence, de ce point de vue-là, va en contradiction totale avec l’esprit même de ce qu’est la Traduction. On ne traduit pas pour plaire, comme est l’approche cibliste, appelée à juste titre les belles infidèles par certains linguistes, mais on traduit pour transposer des connaissances, transférer du sens d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, on fait passer les éléments culturels du texte de départ tels quels, afin que le lecteur lisant la traduction prenne connaissance de choses nouvelles appartenant à la culture arabe… L’on parle ici de plein droit de traduction et d’interculturalité. On traduit pour instruire.
Un admirateur fasciné des belles lettres se penchera plutôt sur les écrits littéraires et poétiques et leurs traductions, et non sur les traductions islamiques.
Avec l’opération du choix des équivalents d’une culture à l’autre et en se permettant à les déterminer comme tels pour l’expression ou le proverbe que le traducteur a sous les yeux, celui-ci n’est plus dans l’interculturel, mais dans la déculturation, dans la dépossession du Texte et de son auteur de leur propre identité[2] ; un autre grand phénomène qui pose énormément problème en traduction islamique.
Pourtant, dans les traductions religieuses, la méthode requises par les premiers théoriciens depuis il y a deux millénaires est la traduction littérale[3], celle-ci même qui est adoptée par l’école sourcière, qui est aux antipodes de l’école cibliste. Méthode de traduire qui remonte à deux millénaires, consacrée spécialement au Texte sacré, tel que l’a initiée en premier Saint Jérôme (347-420) par son diptyque : « verbum de verbo », c’est-à- dire, mot-à-mot dans le cas des mystères (il fait référence à la Bible), mais sens pour sens, « sed sensum exprimer de sensu », partout ailleurs. Expression qui a été reformulée quelques années plus tard par le grand admirateur de Saint Jérôme : Saint Augustin (354-430), qui a formulé la notion de fidélité, autour de laquelle se cristallisera la problématique centrale de toutes les théories de traduction à venir.[4]
Dans ce même rapport, décrivant dans Les belles infidèles la démarche littéraliste de la traduction des Textes sacrés mise au point par St Jérôme, G. Mounin rappelle les propos de ce dernier : « Et pour son propre compte, saint Jérôme ajoute :’’Quand je traduis les Grecs, — sauf dans les saintes Écritures, où l’ordre des mots et aussi mystère, —ce n’est pas un mot par un mot, mais une idée par une idée, que j’exprime » [Non verbum e verbo, sed sensum exprimere de sensu]. »[5]
Pour sa part, Michaël Oustinoff écrit à ce sujet : « Cette distinction introduite par saint Jérôme est essentielle : elle souligne la différence entre textes religieux et textes profanes au regard de la traduction. Dans le premier cas, il faut davantage s’en tenir au mot à mot. C’est la méthode que préconise Philon [né av. l’ère chrétienne], membre de la communauté juive d’Alexandrie : seule la traduction littérale serait en mesure de ne pas altérer les textes sacrés. »[6]
Nonobstant, ce qui s’est très tristement passé dans les Textes islamiques que l’on traduit est bien le contraire. Nombre considérable, si ce n’est majoritaire, de traducteurs ont inversé la règle. Ils traduisent les Textes de l’islam sous la méthode de la traduction libre, qui n’est autre que celles des Belles infidèles ! Ils ont effectivement effacé les frontières qui se trouvent entre un texte religieux et un texte profane. Raison pour laquelle on ne cesse de produire des traductions qui dénaturent le Texte source à bien des égards et présenter des livres dont le contenu est d’apport scientifique et intellectuel très faible, voire quelquefois faussée. Voilà pourquoi on lit et on sort à la fin de chaque lecture avec des bénéfices maigres, sur tous les plans (religion, langue, traduction, culture, etc.). Il s’agit en outre de l’une des raisons principales retardant l’acquisition religieuse chez les lecteurs francophones.
Revenons au sujet qui nous préoccupe, concernant justement ce système des équivalences culturelles, est-ce qu’il est déjà arrivé qu’un traducteur ait eu un jour l’idée d’au lieu de traduire un verset ou un hadith par exemple, se contentera de retrouver son équivalent dans la Bible ?! Car il y en a des centaines de versets qui seraient les équivalents des versets du Qour’ên.
Ceci pour établir que la question des équivalences dans le domaine culturel et religieux, qui s’agit des notions relevant de la vision du monde et de la perception de la réalité, ne tient pas en traduction islamique.
En effet, autant qu’on transpose les contenus des mots et des phrases de l’arabe vers le français, l’on doit tout autant transposer les éléments culturels tels quels, sans aucune modification ni prétendue équivalence. Voilà ce qu’est un travail de traducteur fidèle tant à l’esprit qu’à la lettre. Mais il est clair que pour atteindre à ce niveau, il est impératif d’avoir d’abord les compétences religieuses et linguistiques arabes/françaises nécessaires.
Par ailleurs, font partie des pratiques fondées sur de faux-arguments que les enseignants des universités donnent lors des cours ꟷ c’est-à-dire les enseignants adeptes des Belles infidèles[7], pour tenter de démontrer l’intérêt du système des équivalences, notamment culturelles ꟷ le fait de citer quelques proverbes ou citations arabes dont celle-ci « لَقَدْ أَثْلَجْتَ صَدْرِي ». Une fois cet exemple phare est livré à sec, l’enseignant déchaine sur une panoplie d’interprétations pour donner de l’attrait à sa position. Il dira ainsi que si l’on traduisait l’expression par « Tu m’as fait froid au cœur », le lecteur français ne comprendra pas… C’est pourquoi il faudra employer son équivalent qui est « Tu m’as fait chaud au cœur » !
Pourtant, on ne traduit pas que pour les Français ! Les francophones des déserts dans le monde comprendront bien cette tournure arabe traduite telle quelle ! Là, tout particulièrement, se manifeste le paramètre de déculturation déclenché par la notion de prestige pour tout ce qui est français. On s’abandonne par là même à l’effacement culturel et identitaire devant la culture française, sans pour autant ne penser aux conséquences qui en découlent. Les concepteurs de ce choix des équivalences pour les éléments culturels, sont-ils, en définitive, des théoriciens français, pro-francisants ou francisés ?!
En fait, l’auteur dans son texte de départ, en arabe, n’appartient pas forcément à l’univers culturel du lecteur lisant la traduction, du moins pour les Textes islamiques, Textes de savants de la Sounna, audios, prêches, etc. Pourquoi alors ne pas transmettre la valeur culturelle qu’il y a dans cette figure, plutôt que de la fausser voire de la meurtrir par le choix d’une autre expression dans la langue d’arrivée, qui, dit-on, serait son équivalent ? Les formules culturelles sont constituées de mots ; et les mots sont des entités vivantes. La valeur culturelle des mots et des expressions veut effectivement que le lecteur prenne conscience d’une nouvelle notion, qu’il découvre une nouvelle interprétation de la réalité, ou ce que l’on appelle en linguistique découpage ou catégorisation du réel. Autrement, le lecteur enrichira son potentiel cognitif et culturel en prenant connaissance d’un proverbe ou d’une tournure connotée qui vient des entrailles du désert, où l’on a tellement chaud et soif que, ce besoin vital étant, ait poussé les bédouins à créer cette joilie allégorie tellement expressive et hautement instructive sur la réalité au/du Désert.
Dans une telle situation, traduire les éléments culturels et non en choisir un parmi les éléments culturels de l’autre langue de ce qui serait son équivalent, et notre exemple ici présent peut servir de point d’illustration, le traducteur, connaisseur des deux cultures et des ressources linguistiques des deux langues, s’emploiera à gloser dans la marge le proverbe ou l’élément culturel en question.
Les gloses, mécanisme de connaissance et d’avertissement, ont de tout temps constitué un instrument d’enrichissement scientifique et culturel efficace. C’est une méthode scientifique qui donne de la force à la traduction.
Enfin, les éléments culturels propres à la langue arabe, que l’on retrouve dans les Textes islamiques doivent être nécessairement rendus et déposés fidèlement dans le texte d’arrivée. Car, en fin de compte, une traduction idéale doit se conformer au principe « Tout remettre, et ne rien omettre ! ». Seule procédure pour échapper aux mauvaises habitudes des traducteurs qui aiment à s’immiscer dans le plein corps du texte de départ et faire dire à l’auteur ce qu’il n’a pas dit. Il s’agit en fait d’un phénomène énorme ayant causé des dégâts dans les livres traduits qu’on trouve de nos jours sur le marché francophone. Un traducteur islamique sincère et compétent ne saurait trahir la parole de l’auteur ; il ne censure pas les pensées des savants, non plus !
Important à lire
« La responsabilité du traducteur », de l’Imam Ibn Badis, PDF disponible sur : https://t.me/Linguistiqueetislam/125
« Comment traduire un mot correctement ? », sur : https://t.me/Linguistiqueetislam/34
« La traduction et la transcription : deux sœurs jumelles », disponible sur : https://scienceetpratique.com/9925-2/
Publié sur: https://scienceetpratique.com/12270-2/
https://t.me/Linguistiqueetislam/206
………….
[1] Georges Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction, Gallimard, Paris, 1963.
[2] Voyez à ce sujet notre article « Le bon choix des équivalents pour la recréation du style islamique dans la traduction », sur : https://scienceetpratique.com/10017-2/
[3] Voyez nos notules « La traduction littérale est le seul garant de la reproduction totale des données du Texte islamique », sur : https://scienceetpratique.com/11864-2/ ; et « La traduction littérale pour les Textes islamiques », sur : https://scienceetpratique.com/11854-2/
[4] Mathieu Guidère, Introduction à la traductologie, de boeck, Bruxelles, 2010, pp. 30-31.
[5] Georges Mounin, Les belles infidèles, Éditions des cahiers du sud, Paris, 1955, p. 79.
[6] Michaël Oustinoff, La traduction, PUF, Paris, 2003, p. 28.
[7] Un des premiers linguistes français, si ce n’est le premier, ayant excellé, dans les années 50, à mettre à nu cette tendance cibliste est Georges Mounin, dans son ouvrage Les belles infidèles.