
Présentation succincte de la linguistique et des sciences du langage
Abderrahmane Ayad
Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, 257-271 ; et 354-356.
La linguistique est l’étude scientifique du langage humain et des langues naturelles. C’est une étude objective, descriptive et explicative.
Ferdinand de Saussure, dans son manifeste CLG (Cours de linguistique générale 1995 : 20), assoit la matière de la linguistique en stipulant qu’elle est constituée d’abord par toutes les manifestations du langage humain, qu’il s’agisse des peuples sauvages ou des nations « civilisées », des époques archaïques, classiques ou de décadence, en tenant compte, dans chaque période, non seulement du langage* correct et du « beau langage », mais de toutes les formes d’expression. Ce n’est pas tout : le langage échappant le plus souvent à l’observation, le linguiste devra tenir compte des textes écrits, puisque seuls ils lui font connaître les idiomes* passés et distants.
Ainsi Saussure établit très clairement la distinction entre la matière de la linguistique et son objet. Celui-ci étant, tel que le soulignent Antoine Auchelin et Jacques Moeschler (Introduction à la linguistique contemporaine 2014 : 28), le sous-ensemble des manifestations du langage que le linguiste « construit » en adoptant tel ou tel point de vue, en choisissant de s’intéresser à tel ou tel autre aspect de la matière. Si la matière est donnée d’avance, l’objet, lui, résulte de décisions.
C’est une étude objective, par opposition à la grammaire normative, qui elle est foncièrement prescriptive. Elle est descriptive, car elle relève et explique les faits de langue dans toutes les diversités des pratiques langagières quotidiennes dans la diversité des situations* de communication*, sans s’intéresser à émettre des jugements de valeur ni prétendre à la correction des formes* que le grammairien juge incorrectes. Il y a justement ici une différence principale entre la linguistique et la grammaire.
La grammaire traditionnelle ignore des parties entières de la langue, telle que la formation des mots ; elle normative et croit devoir édicter des règles au lieu de constater des faits ; les vues d’ensemble lui font défaut ; souvent même elle ne sait pas distinguer le mot écrit du mot parlé, etc. (F. Saussure 1995 : 118).
La linguistique, contrairement à la grammaire, identifie les faits de langue et les explique scientifiquement, d’un point de vue empirique ; elle s’intéresse à ce qui se dit concrètement et non à ce qu’on doit dire correctement.
Dans ce sens, Dominique Maingueneau écrit :
La linguistique contemporaine ne s’est pas édifiée seulement contre la grammaire historique, en définissant véritablement l’étude du langage comme une science au sens moderne du terme, c’est-à-dire une démarche qui procède par hypothèse et vérification et qui élabore des modèles formels. Pour s’affirmer, la linguistique moderne a aussi dû se dégager d’un ensemble beaucoup plus ancien et beaucoup plus vaste et qui imprègne fortement les mentalités : la grammaire traditionnelle (…) La linguistique vise à décrire les faits de langue sans porter sur eux de jugement de valeur. Comme la biologie ou la psychologie, elle se veut une science empirique, dont les données sont constituées de ce qui se dit effectivement dans une communauté linguistique…
La linguistique est une discipline scientifique, car elle a reçu son statut de scientificité depuis la publication du Cours de Saussure en 1916 (Dubois 1994 : 285), et du fait de son paradigme de recherche qui est le même que celui des sciences expérimentales. Comme font les scientifiques dans ces dernières, en linguistique, le linguiste* ou le chercheur se base dans son étude des faits linguistiques sur l’observation, formule des hypothèses*, les soumet à l’analyse* et en aboutit aux résultats. Il passe enfin au dernier stade, qui est celui de la théorisation. Celle-ci implique bien entendu un processus bien déterminé et très rigoureux. C’est ainsi qu’elle est une science empirique.
La linguistique est avant toute chose une discip-line empirique : elle porte sur un objet — les langues et le langage — qui préexiste à son étude. Le langage ordinaire (on dit aussi les « langues naturelles » — le français, l’anglais, le lingala…) n’a nul besoin du linguiste pour être. Le premier objectif est ainsi de décrire ce que la réalité lui propose. Mais ce qu’il faut d’emblée comprendre, c’est que la langue (le français, l’anglais…) n’est pas directement observable. Ce que nous pouvons observer, ce sont des productions langagières, des phrases en français ou en anglais, et non le français ou l’anglais en soi, c’est-à-dire le système qui rend ces productions possibles. Empreintes dans le cerveau de ceux qui la parlent, une langue n’est accessible qu’à travers ses effets. Cela revient à dire que la langue en soi, inappropriée à l’observation directe, ne peut être que l’objet d’une construction théorique. La linguistique est forcément une science théorisante. (R. Martin, Comprendre la linguist-ique 2002 : 5-6).
La pensée linguistique existait depuis l’antiquité, telles que le montrent les réflexions de Platon (au 5ème S. avant l’ère commune) sur la nature de la langue, et même bien avant Platon, il y eut aussi (au 12ème S. avant J.) les préoccupations religieuses ayant la langue pour matière. C’était une très tradition très lointaine des grammairiens hindous, qui s’attelèrent à la description minutieuse de la langue sacrée de l’Inde ancienne : le sanskrit, et dont les Huit Livres de Panini en témoignent.
Du côté des Arabes également, d’innombrables travaux ont été réalisés depuis la fin du 7ème siècle avec notamment le lexicogra-phe et métricien El Khalîl Ibn Ahmed El Farâhîdi (718-791), qui confectionna le premier dictionnaire arabe dans l’histoire musulmane, et qu’il nomma Kitêb El ‘Eyn (Le livre source). Il a été publié en imprimerie à Bagdad en Irak entre 1980 et 1985 et comportait alors 8 volumes. El Khalîl est aussi connu pour être le premier savant à avoir initié la métrique arabe en tant que discipline auto-nome, qui traite des rythmes poétiques. Et avant El Khalîl Ibn Ahmed, il y eu un éminent savant, Aboû El Aswed Ad-Dou’èlî (603/688), père de la grammaire arabe et c’est à lui également que revient le mérite d’avoir introduit les voyelles ou diacritiques* sur les lettres arabes, afin de préserver une prononciation correcte des sons et des mots. Son œuvre s’inscrivant dans le domaine de la phonétique articula-toire* et de l’orthoépie* lui vaut en fait d’être le premier phonéticien arabe. D’autres grands noms de linguistes ayant servi la langue ont été aussi enregistrés par l’histoire, tels que Ibn Mêlik (711/795), El Kèssê’î (737/805), Sîbèwèyhi (765/796), El Moubèrrad (825/899), etc.
Au fait, à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons pas qu’il y ait eu dans l’histoire des langues une communauté* linguistique ayant travaillé sa langue à tous les plans (lexique, phonétique, grammaire, rhétorique, poésie, etc.) comme l’a fait la communauté musulmane, autant les linguistes arabes et non arabes. L’investigation de la langue a en fait commencé bien avant l’ère islamique, notamment en poésie, en lexique, en rhétorique et en rythmique. Mais il est clair que la venue de l’islam a eu un impact déterminant et pérenne sur l’étude linguis-tique. La langue arabe est la langue de Révélation du Qour’ên (« Coran »), qui est faite dans une langue divine hors typologie, lui a en effet conféré un statut particulier, ce qui a, ceci étant, incité les savants à s’y intéresser profondément.
Or, la linguistique, même si le nom est apparu pour la première fois en français en 1721 (lexicalisé dans le dictionnaire d’Antoine Fure-tière), il n’est attesté par l’Académie française qu’en 1835. Cependant, son usage comme concept, nommant une discipline scientifique et moderne, où l’on revendique le paradigme empirique dans l’exploration du langage et des langues, n’a vu le jour qu’avec l’enseigne-ment de Saussure ; puis il a officiellement pris effet tout justement avec la publication de son ouvrage posthume Cours de linguistique générale, en 1916. De fait, c’est au sein du courant de la grammaire historique et comparée, durant le 19ème siècle, et plus exactement de 1816 à 1870, que nait le concept de linguistique ; et c’est à cette époque-là qu’ont apparu les premières revendications d’ordre scientifique.
La linguistique parle à l’homme de lui-même : elle lui montre comment il a construit, comment il a perfectionné à travers des obstacles de toute nature et malgré d’inévitables lenteurs, malgré même des reculs momentanés, le plus nécessaire instrument de civilisation. Il lui appartient de dire aussi par quel moyen cet outil qui nous est confié, et dont nous sommes responsables, se conserve ou s’altère… Écrivit un jour Michel Bréal (Essai de sémantique, science des significations, 1897 : 2-3).
→Récapitulation historique de la linguistique moderne
La pensée linguistique existait depuis l’antiquité, telles que le montrent les réflexions de Platon (au 5ème S. avant l’ère commune) sur la nature de la langue, et bien avant Platon, il y eut aussi (au 12ème S. avant J.) les préoccupations religieuses ayant la langue pour matière. C’était une longue tradition des grammairiens hindous, dont il nous est resté notamment le Huit Livres de Panini. Cette tradition s’était efforcée de décrire très minutieusement le sanskrit, ancienne langue de l’Inde. (J. Dubois et al., Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage 1994 : 285-287 ; et D. Zemmour, Initiation à la linguistique 2008 : 5-6). Les Arabes également, entre autres nations (chinois, japonais, etc.), ont réalisé des recherches linguistiques très avancée par rapport leur époque. Des investigations de terrain furent effectuées, notamment en phonétique et à tout ce qui a trait au lexique et au sens des mots. Les linguistes* se déplaçaient dans le désert pour rencontrer les bédouins qui leurs servaient d’informa-teurs*.
Mais la linguistique, en tant que discipline reconnue par l’épistémologie, ne s’est imposée qu’après qu’avec l’enseignement de Saussure, et tout justement suite à la genèse postérieure de son Cours de linguistique générale en 1916.
Jusqu’au 20ème s., on s’intéressa à l’évolution* des langues dans le temps* et aux liens de parenté les unissant. Critiquant les défauts de la linguistique historique, F. de Saussure bâtit son Cours de linguistique générale, publié en 1916 par ses deux disciples Charles Bally et Albert Sechehay et à partir duquel s’élabora toute la linguistique moderne. C’est une œuvre posthume, réunie des notes de ses disciples. Saussure a posé les concepts fondamentaux : synchronie*, système*, distinction entre langue* et parole*, etc. HACHETTE dictionnaire encyclopédique illustré 2000, entrée linguistique : 1095-1096).
Cependant, il importe de faire remarquer que cet ouvrage a fait l’objet de plusieurs critiques. Voire, la linguistique saussurienne a reçu de manière générale beaucoup de reproches. Ont ainsi été relevées quelques contradictions, précisément dans le CLG (comme le fait, tel qu’il nous est apparu, d’avoir défini la langue comme « un produit social » et avoir a contrario attribué à la linguistique le seul objet d’ « étude de la langue en elle-même et pour elle-même » ; autrement, en faisant table rase de toute la dimension sociale de la langue), ce qui pose en fait un sérieux problème méthodo-logique dans l’analyse des faits linguistiques ; des lacunes (tel que le fait d’avoir négligé la dimension énonciative de la langue, et de s’être intéressé à la parole tout en omettant le locuteur ; la séparation même qu’il a faite du langage et de la langue, et ayant conçu cette dernière comme un fait social extérieur à l’homme, etc.) ; la staticité de la linguistique par le fait d’avoir exclu le volet his-torique de la langue et s’être majoritairement préoccupé de la synchronie ; ainsi qu’aussi des « dérapages » dont nous avons eu l’occasion de constater, notamment le rejet de la question de l’origine du langage et des langues, son adoption du principe darwinien de l’évolution et que l’homme était comme un simple animal privé de langage et de parole criant dans la nature…
Cette allégation saussurienne, la science expérimentale demeure à ce jour incapable de la démontrer, ce qui va de plus à l’encontre de la démarche scientifique empirique, qui est pourtant fortement revendiquée par Saussure, que seuls les faits prouvés et vérifiés intéressent sa linguistique. Par-là, depuis les premières années de la parution du CLG, plusieurs linguistes ont exprimé leur suspicion au sujet du CLG. Certains ont remis en cause que beaucoup d’idées qui y sont énoncées soient celles de Saussure, alors que d’autres se sont attelés à le décortiquer et rendre compte de ses défectuosités. Font partie de ces éminents linguistes et penseurs contemporains de Saussure : Antoine Meillet, Mikhaïl Bakhtine, Motoki Tokiéda, Émile Benveniste, Michel Foucault, Roland Barthes, William Labov, Robert Lafont…
Pour une lecture poussée et plus récente sur les critiques formulées contre le CLG, voir : Simon Bouquet « Il faut relire Ferdinand de Saussure dans le texte », [Entretien avec Laurent Wolf]. In Le nouveau quotidien, Genève, 1997 ; Simon Bouquet, Introduction à la lecture de Saussure, 2004 ; MEJÍA QUIJANO C. “Rudolf Engler. L’ouvrage d’un philosophe artiste”. In Cahiers Ferdinand de Saussure (58) : 5-19, 2006 ; MEJÍA QUIJANO C. « Sous le signe du doute. Présentation des textes de E. Constantin ». In Cahiers Ferdinand de Saussure (58) : 43-67, 2006 ; Sofia Estanislao. Qui est l’auteur du Cours de linguistique générale ? Recherches sémiotiques / Semiotic Inquiry, 34(1-2-3), 39–57, 2014.
Et c’est de ce dernier article que nous avons tiré les références ci-dessus ; et il en contient d’autres encore. Notons de plus que l’auteur a consacré d’autres écrits à ce sujet, dont figurent : « Petite histoire de la notion saussurienne de ‘’valeur’’ ». In Parallèles floues. Espaces théoriques du langage. Cl. Normand & E. Sofia. Louvain-la-Neuve : Academia, 2013 ; « Cent ans de philologie Saussurienne. Lettres échan-gées par Ch. Bally & A. Sechehaye en vue de l’édition du Cours de linguistique générale ». In Cahiers Ferdinand de Saussure (66) : 181-197, 2013 ; La collation Sechehaye du ‘cours linguistique générale’ de Ferdinand de Saussure (1913). Édition, introduction et notes par E. Sofia. Leuven : Peeters, 2015 ; Le CLG à travers le prisme de ses (premières) réceptions. Cahiers Ferdin-and de Saussure, Vol. 69 ; pp. 29-36, 2016 ; « Quelle est la date exacte de publication du CLG ? », Cahiers Ferdinand de Saussure, pp. 9-16.
Outre cela, mis à part les critiques que l’ouvrage a reçues, d’autres linguistes ont aussi critiqué quelques-uns des concepts saussuriens, et de la conception que Saussure en a eu et de sa méthode d’analyse. Parmi ces concepts figurent les notions de langue*, d’arbitraire* du signe*, de valeur*, les dichotomie langue/parole, synchronie/diachronie, etc. Ainsi un des premiers linguistes ayant constaté et rapporté les contradictions du CLG, est le Japonais Motoki Tokiéda (1900-1967).
Je rapporte ici un échantillon de ses critiques cité par Eisuke Komatsu (« La critique de la théorie saussurienne d’après Motoki Tokiéda (1941) » (Linx Revue des linguistes de l’université Paris X Nanterre 7 | 1995 : 258-262). Voici la traduction (de Catherine Garnier) l’extrait.
Saussure a voulu, pour des raisons méthodologiques, ne pas prendre comme objet le langage concret qui est notre expérience. Il a voulu isoler à l’intérieur du langage concret, hétérogène et multiforme, quelque chose qui soit homogène et uniforme. Il a fait de cette entité l’objet de sa recherche, l’a appelée « langue », l’a reconnue comme étant un objet psychique, association d’une image acoustique et d’un concept, et l’a définie comme ayant une existence séparée, étant un fait social extérieur à l’individu. La langue prise comme objet est censée posséder une organisa-tion structurée. Elle n’a de lien avec le sujet parlant que quand il l’utilise. Mais Saussure ne définit pas clairement le lien entre le sujet et cet objet ainsi utilisé. La plus grande contradiction de Saussure c’est que, si la langue est l’objet de la linguistique l’observation concrète ne peut se faire que sur la parole. Toute la théorie de Saussure n’est alors que le résultat d’une sorte d’objectiva-tion du langage pour répondre à des préoccu-pations méthodologiques. »
Cela étant posé, la linguistique postsaussurienne a connu quant à elle la naissance de plusieurs écoles, dont trois sont principales :
- L’école de Prague [capitale de la République tchèque], fondée par [Nicolaï] Troubetskoï [1890-1938, linguiste rus-se], et [Roman] Jakobson [1896-1982, linguiste russo-américain]. Cette école a créé dans les années 1920-1930 la phonologie*, étude des sons* d’une langue par leurs relations récipro-ques, et tenté d’adapter cette étude aux autres niveaux de la langue (morphologie* et synt-axe*) ; la théorie* de cette école porte le nom de fonctionnalisme, car les éléments de la langue* (on appelle élément de la langue ou élément linguistique toute unité, item grammatical ou item* lexical, qui forme* le constituant d’un synt-agme ou d’une phrase* ; on appelle aussi élément linguistique des suites de morphèmes*, comme les mots*, les syntagmes*, les phrases, ou encore tout phonème*, constitu-ant d’un morphème. On dit aussi élément d’expres-sion) sont défi-nis par leur fonction dans le cadre de la communi-cation.
- L’école de Copenhague [capitale du Danemark], composée de [Louis] Hjelmslev [1899-1965, linguiste danois : fonda-teur de la glossématique, à partir des pensées de Saussure] et de Togeby) a fondé une théorie linguistique qui tente de serrer de plus près l’idée saussurienne que la langue est forme et non substance ; les prétendus éléments constitutifs de la langue ne sont que des faisceaux de relations. Il s’agit donc d’une algèbre de la langue.
- Une puissante école linguistique, dite structu-rale, s’est développée aux États-Unis, notamm-ent sur le terrain ethnologique. [Léonard] Bloomfield [1887-1949, linguiste américain], (v. 1930-1940) est le principal représentant de ce courant hostile au « mentalisme » (conception selon laquelle le contenu est l’élément déterminant de la structure de la langue, Larousse 2010), qui abuserait d’explications psychologiques ; pour assurer l’objectivité de la description, il rejette l’analyse du sens. Le plus remarquable développement de ces thèses est le « distributionnalisme » de [Zellig] Harris [1909-1992, linguiste américain], (v. 1950), qui recense (dans un texte : corpus) toutes les distributions des unités, puis considère comme équivalentes les unités qui ont la même distribution et les réunit dans une même classe. Mais la grande révolution est due à un de ses disciples, [Noam] Chomsky [1928 , linguiste américain], qui a entrepris, vers 1957 , une critique radicale de la linguistique d’inspiration structurale fondée sur la distribution* ; par ex, un groupe de mots comme « la critique de Pierre », qui n’a qu’une seule formulation ( nom-préposition-nom), recouvre en fait deux structures différentes : « Pierre critique quelqu’un » et « Pierre est critiqué par quelqu’un » ; Chomsky a fondé la grammaire générative et transformationnelle qui considère le langage* comme un processus par lequel tout locuteur* peut générer une infinité de phrases pertinentes et nouvelles (HACHETTE, ibid.).
(Voir supra, sciences du langage).
→ La scientificité de la linguistique
Étant une discipline scientifique, la linguistique requiert une réflexion épistémologique. En d’autres mots, elle exige une réflexion rigoureuse et critique de la démarche scientifique en l’interrogeant sur ses postulats et les conditions de la validité de ses études. La linguistique est une science car elle partage avec les autres sciences empiriques nombre de dominantes, autant au plan théorique déterminant ses méthodes d’analyse* que pratique, là où les chercheurs mettent en œuvre les postulats conceptuels exigés par le premier volet, c’est-à-dire théorique. Ceci d’une part. La linguistique recense, d’autre part, les caractéristiques qui lui sont propres et par lesquelles elles se distingue de l’ensemble des sciences.
→ La linguistique est une science empirique et descriptive
La linguistique est une science empirique, parce qu’elle explore les faits linguistiques suivant « le même » paradigme de recherche que celui des autres sciences empiriques établi sur cinq étapes maje-ures que sont l’observation, le questionnement, les hypothèses*, l’expériment-ation et la théorisation*. La linguistique est aussi une science objective, car elle s’écarte de la méthode de la grammaire, qui elle est prescriptive. Autrement dit, la linguistique s’intéresse aux phénomènes langagiers tels qu’on peut les observer et non tels qu’ils devraient être conformément à tel ou tel autre « bon usage ». Le linguiste*, dans son explo-ration de la langue et du langage, prend en compte ce qui se fait ou se dit dans la réalité et non ce qui doit être dit. Le grammairien, rappelons-le, édicte des règles coercitives et sur la base desquelles il lance des jugements en faveur ou à l’encontre de l’usager de la langue. Le linguiste, par contre, considère l’utilisation de la langue comme un fait et commence à partir de-là à décrire, à s’inter-roger, à analyser et expliquer les mécanismes ou les tenants d’une telle utilisation, quitte à ce que celle-ci soit peu ou prou en décalage avec la norme grammaticale. Ainsi en substitut des jugements de valeur du grammairien, le linguiste établit des descriptions et relie les conséquences des phénomènes langagiers à leurs causes.
(Voir supra, linguistique).
Mais qu’est-ce qu’alors les sciences du lanagge ?
Dans la même lignée que la science linguistique, voire partageant la même nomination en juxtaposition, et partageant le paradigme de recherche, celui de l’empirie, mais avec beaucoup plus de rigueur scientifique, en redéfinissant et optimisant les fondem-ents, les méthodes et les outils d’analyse du langage, les sciences du langage forment tout un complexe de disciplines scientifiques en association avec la linguistique dans l’étude du langage et des phénomènes linguistiques.
D’après le Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage (1994, pp. 416-417), ce terme, Les sciences du langage « regroupe la linguistique en tant qu’étude du système en lui-même et pour lui-même avec les disciplines connexes, psycholinguistique et sociolinguistique notamment, et prend en compte à la fois l’aspect théorique et l’aspect applicatif des recherches.
Or, distinctivement de la linguistique, qui est l’étude de la langue en elle-même et pour elle-même, les sciences du langage, étant un champ plus moderne et amplement ouvert sur la pluridisciplinarité, tirent de domaines variés (sciences dures et sciences molles) non dédiés à la base aux études sur le langage et les langues, telles que la biologie, la médecine, la sociologie, l’anthropologie, etc. Ces disciplines, en plus de l’exploration de certains sujets liés au langage, ont fourni beaucoup de concepts et de termes à la linguistique, que les linguistes ont développés et consacrés dans leurs propres analyses. Les chercheurs en sciences du langage se proposent en fait d‘étudier des faits et phénomènes linguistiques et langagiers que la linguistique saussurienne a négligés. Ils ont en effet dépassé ses limites de très loin. Ainsi tous les faits que les Saussuriens ont écartés de la recherche linguistique, et qui se lient essentiellement au sujet parlant, au locuteur, à l’énonciation, à la société, à l’histoire, etc., les sciences du langage les ont récupérés et explorés en profondeur.
Allant de la psychologie ou la sociologie depuis les années 50 du siècle dernier, et aboutissant à l’époque contemporaine aux neurosciences ou encore au traitement automatique des langues (TAL), entre autres disciplines scientifiques, les linguistes se sont de plus en plus intéressés aux études sur les langues réalisées par les scientifiques. Les sciences du langage ont en ce sens déclenché une révolution (qui a été élargie à un très grand nombre de domaines, de spécialités et des thèmes, et ne cesse de s’élargir) dans le champ des études linguistiques. Elles ont marqué une époque charnière dans l’étude du plus énorme phénomène propre à l’homme, qu’est le langage et la langue humains. (Voir supra, Linguistique).